Éduquer sans sanctionner, utopie ou possibilité ?

claireleconte Par Le 31/10/2018

Une éducation sans sanction : utopie ou possible ?

Claire LECONTE
Professeur émérite de psychologie de l'éducation
Université de Lille 3

Le « ou » exclusif est un choix de l'auteur qui lui permet d'insister sur le fait que l'éducation doit systématiquement précéder la sanction. Il ne s'agit pas d'angélisme béat, elle sait combien l'école mais aussi diverses institutions éducatives ou thérapeutiques sont aujourd'hui confrontées à des situations très complexes pour lesquelles on ne peut nier la nécessité d'interrompre, y compris par des moyens coercitifs, la fuite en avant dans la délinquance de certains enfants et adolescents. Oui, on doit sanctionner l'acte délinquant commis par un mineur mais on doit avant tout l'aider à sortir du système qui l'a conduit à cet acte. La répression est une réponse, pas une solution, la répression comme seule et unique réponse constitue une faillite de la responsabilité adulte. Pour aider ce mineur il faut chercher à comprendre et admettre les causes qui l'ont conduit là où il est. 
Certes la famille a sa part de responsabilité dans cet échec pour la société que représente la délinquance des jeunes, mais est-elle vraiment la seule ? La société en cours de mutation n'y contribue-t-elle pas largement ? 
Etant donnée la formation de l'auteur, ses recherches et l'activité professionnelle qui a toujours été la sienne, elle ne peut s'empêcher de renvoyer cette question à un lieu qui occupe une place prépondérante dans les 20 premières années de la vie de l'enfant, l'école. D'autant plus que celle-ci est de plus en plus vécue comme non-sécure et que les propositions gouvernementales faites en vue d'assurer une certaine sûreté posent de nombreuses questions. 
Entre autres, quelle analyse est faite de l'échec actuel de la réinsertion scolaire par le biais des ERS ? Trois chantiers d'amélioration sont annoncés par le ministre : le sport (voir Leconte Claire, à paraître), les travaux d'intérêt général (TIG) et des partenariats pour l'encadrement. Pour cet encadrement, est exploitée la piste des policiers et gendarmes à la retraite ! Alors qu'on continue de supprimer des postes d'enseignants, de professionnels spécialisés dans les écoles et qu'on est prêt à faire disparaître la Défenseur des Droits de l'enfant ! 


Que fait-on des résultats d'une étude de Debarbieux et Fotinos (2010) qui montrent que les sanctions, à faute égale, sont plus dures pour les élèves des établissements « ambition réussite » : « cette inégalité participe, par le recours ciblé [à ces sanctions], à la dégradation du contrat social de certains milieux populaires avec l'école, voire à sa rupture ». En effet, les auteurs montrent que ces élèves risquent trois fois plus d'être exclus temporairement et deux à trois fois plus de l'être définitivement qu'un élève d'une école « classique ». « Plus les données sociales [des élèves] sont lourdes, plus les chefs d'établissement perçoivent un niveau de violence élevé et plus le recours à l'exclusion est fréquent » écrivent-ils. Et les auteurs montrent qu'aux Etats-Unis aussi il a été démontré que les exclusions se concentrent dans les écoles des zones urbaines sensibles, les élèves noirs étant exclus deux à trois fois plus que les autres. Or la recherche américaine a prouvé que cela ne correspond pas à plus de violence, mais bien au fait que ces élèves sont plus durement et systématiquement punis pour les mêmes infractions. On ne peut que constater qu'à travers l'utilisation inégalitaire des sanctions, la discrimination et la stigmatisation de certains élèves sont de fait appliquées avec toutes les conséquences sur leurs comportements  qu'on est en droit d'en attendre. 
De plus, Maryse Esterle (2007) estime qu'en éloignant ces jeunes perturbateurs, « on provoque une rupture entraînant un fort risque de cristallisation des conduites. Toutes les études montrent que ce qui marche le mieux, c'est quand les élèves en difficulté sont pris en charge dans leur établissement ». Mais cela nécessite des moyens au sein de ces établissements que les choix politiques actuels sont en train d'éliminer. 


Bien sûr la sanction éducative a du sens. Comme le dit Eirik Prairat (1999), la sanction comporte une dimension punitive et une dimension réparatrice. Pour Philippe Meirieu (1991), sanctionner l'écart à la norme admise, l'infraction à la règle du jeu imposée, contribue à la socialisation de l'enfant et à son intégration à la société. Mais il rappelle aussi que la sanction éducative est un acte nécessaire et arbitraire que l'on ne peut effectuer qu'avec la conviction de l'utile et l'hésitation du légitime. 
Tout mineur qui commet un acte de délinquance doit être confronté à une sanction sociale. Mais il s'agit d'enfants ou d'adolescents, la sanction ne peut donc être qu'un volet de la réponse à leur délinquance, l'autre volet est celui de l'éducation. L'ordonnance de 1945, reprise par l'article 1228 du nouveau code pénal, stipule que « les mineurs reconnus coupables d'infractions pénales font l'objet de mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation dans des conditions fixées par une loi particulière ». Considérant que le délinquant mineur est un enfant en danger, elle établissait en matière pénale, une innovation: la prédominance de l'éducatif sur le répressif. En effet cette ordonnance de 45 précise l'irresponsabilité de l'enfant face au majeur et veut donner la primauté à l'acte éducatif dans le traitement de la délinquance juvénile. Protéger l'enfant doit rester une valeur fondamentale de notre société. Mais Manuel Palacio (2002), de l'Association Française des Professionnels de l'Education en lien avec la Justice, considère qu'il n'y a pas consensus sur cette vision des choses. Il critique la réforme de l'ordonnance de 45 telle qu'elle est prévue, puisqu'en particulier l'actuel système ne pense l'enfermement qu'en termes de châtiment et ne prévoit l'éducation que si le mineur en est d'accord. « Cette impossibilité de penser la contrainte comme l'une des conditions pour mener un travail éducatif auprès de mineurs qui le rejettent a priori, prive le système français d'une alternative au tout carcéral ». 
Le refus chez l'adolescent délinquant, de recevoir une éducation a forcément un sens, on doit comprendre le pourquoi de ce refus et il faut alors travailler avec eux à l'acceptation de cette aide éducative. 
L'ordonnance du 23 décembre 1958, reprise par les articles 375 et suivants du Code civil, stipule que « lorsque le mineur dont la santé, la sécurité ou la moralité sont en danger, ou dont les conditions de l'éducation sont gravement compromises, le juge peut prononcer une mesure d'assistance éducative ». Cette ordonnance vient compléter celle de 45 dans le but d'accompagner l'enfant avant le passage à l'acte. En confiant la protection de l'enfant au juge des enfants, elle marque une seconde étape qui est un changement considérable dans le raisonnement judiciaire. Comme le rappelle Gilbert Delagrange (2004), l'exigence d'une politique dans ce domaine se heurte en effet à une contradiction fondamentale entre la nécessité d'intervenir en cas de maltraitance d'une part et le respect de la vie privée de l'autre. Cette contradiction se traduit par l'ambiguïté de fondements juridiques de la protection de l'enfance, fort embarrassante pour les juristes. Elle a donné lieu, depuis sa création, à des débats qui n'ont pas cessé depuis. 
A l'heure actuelle en France, on peut distinguer plusieurs structures et dispositifs pour les mineurs constitués en fonction de ces deux ordonnances. 

L'éducation devant être pour l’auteure le meilleur moyen d'assurer une protection de l'enfant, en lui permettant de se développer en fonction des règles de vie en société, faire attention à l'injustice devient dès lors une nécessité, ne serait-ce que parce que généralement on ne peut revenir en arrière. Le ressenti de l'éduqué peut faire des dégâts que l'on ne mesure pas toujours. Valérie Caillet (2006) a montré que différents types d'injustices ont pu être identifiés et regroupés selon deux grands domaines : celui des jugements scolaires (les notes et les décisions d'orientation) et celui de la vie commune (les réactions entre pairs et la relation pédagogique). Ils font appel à des problèmes et des principes de justice bien distincts. A travers des entretiens avec les enseignants, elle montre aussi que le sentiment d'injustice perçu par les élèves joue un rôle important dans l'émergence des comportements agressifs. L'auteur affirme qu'une telle lecture de la violence scolaire via le sentiment d'injustice fournit une approche cohérente et intégrée de toutes les formes de violence anti-scolaires, qu'elles soient dirigées contre les enseignants ou contre les bons élèves. C'est dire combien il est important de toujours s'interroger sur la légitimité de la sanction. D'autant plus qu'en français contemporain, le mot évoque immédiatement le concept de punition alors que sa valeur générale (incluant « récompense ») n'est connue que d'une minorité de locuteurs (Rey, 2000).
Selon Meirieu (1991), la sanction n’est tolérable que dans la mesure où l’on ne s'y résigne qu’avec mauvaise conscience. Certes la sanction sanctionne toujours l’écart à la norme admise, une infraction à la règle du jeu imposée,  elle a une fonction intégrative par excellence. Mais le malaise lié à la sanction provient de la gravité des blessures qu’une injustice peut causer. 


La sanction a un caractère inéluctablement arbitraire, c’est pourquoi on ne peut pas punir, sanctionner, sereinement. Et l’enfant ne peut vivre la sanction comme une aide à la construction de sa personne qu'à condition qu'elle émane de quelqu’un capable de s’interroger sur la légitimité de son geste.


Leconte quant à elle défend l'idée qu'avant toute idée de sanction, l'éducation doit s'attacher à un travail de prévention évitant aux comportements délictueux d'apparaître, qui souvent, sont le signe de sentiments d'insécurité. L'éducation, pour les psychologues, est l'action qui vise à développer les potentialités d'un individu qui sont valorisées par le groupe social auquel il participe. Or toutes les potentialités ne sont pas également développées par les éducateurs (Pêcheux, 1999). Tout système éducatif ouvre certaines portes et en ferme d'autres. Que ce soit dans la famille, à l'école, dans toutes les institutions à visées éducatives que fréquentent les enfants, les pratiques éducatives résultent de conflits d'intérêts, de conflits de valeurs et de compromis, elles mènent toujours, simultanément, à des acquis et à des frustrations. « La pluralité des influences éducatives ne dispense pas de l'interrogation éthique de chaque éducateur sur les moyens qu'il offre à l'éduqué pour s'émanciper de toute influence et non pas seulement osciller entre plusieurs d'entre elles » (Meirieu, 1991). 
C'est là que les adultes ont toute la responsabilité du choix qu'ils feront de leurs pratiques éducatives, des valeurs qu'ils décideront de soumettre aux enfants afin que ceux-ci puissent reconnaître le meilleur d'eux-mêmes et ainsi avoir la possibilité de se dépasser. Eduquer est une opération qui consiste à fournir aux individus des outils d'adaptation -non de résignation- à tout environnement rencontré, à les préparer à l'exercice de rôles sociaux. On n'enseigne pas les valeurs, il faut que l'éduqué puisse y adhérer librement, avec sa conscience, elles se transmettent dans toutes les situations éducatives et les séquences d'enseignement, par exemple en montrant que l'on apprend mieux dans la coopération que dans la rivalité, plus encore quand on sait que cette rivalité peut devenir source de conflits liés à la concurrence considérée par certains comme nécessaire pour atteindre l'excellence. Eduquer ainsi permettra de responsabiliser le sujet éduqué, de participer à la formation de sa propre liberté. 
Eduquer nécessite qu'on explicite toutes les attentes, les consignes que l'on a vis à vis des enfants, tous ne peuvent décoder aussi facilement l'ensemble des règles du jeu social. Ceux qui intègrent facilement ces règles s'en tirent, mais les autres tentent de deviner, et quand ils n'y arrivent pas, ils s'engagent vers ce qu'ils perçoivent comme interdit. C'est plus rassurant pour eux, plus stable, on sait à quoi s'attendre (la sanction), mieux vaut cela que s'installer dans une angoisse devant l'inconnu et l'insaisissable. A l'école en particulier, l'explicitation des règles de vie est indispensable si on ne veut pas réserver la compréhension à une élite qui, elle, peut décoder spontanément puisqu'elle est socialement proche de l'éducateur. Pour ce faire, il faut faire participer les élèves à la vie de l'établissement dans lequel ils sont éduqués. Mais il faut aussi que l'école rende l'élève acteur de sa scolarité. Une enquête récente de l'AFEV (2009) a montré que chez les enfants de primaire et de collège, les difficultés de compréhension face aux attentes de l'école apparaissent comme un problème majeur. Pour Delory-Momberger (2005), une grande part de l'expérience scolaire des élèves consiste à négocier, pour eux-mêmes, pour leur famille ou pour leurs pairs, les étiquetages que l'école porte sur eux. Or ce sont les élèves bien pourvus en capital social et culturel qui parviennent le plus facilement à construire leur expérience scolaire en se constituant comme sujets, acteurs de leurs études. A l'inverse, les élèves dont le bagage social et culturel est le plus faible ont de grandes difficultés à se construire positivement à travers leur expérience scolaire. « Ne pouvant éprouver l'utilité et le sens de la culture scolaire, ils la perçoivent comme étrangère et ne peuvent s'y identifier » (Cavet, 2009). C'est l'image de soi et la dignité de ces élèves qui sont alors atteintes, certains d'entre eux décident de ce fait de se retirer du jeu. D'autres au contraire, refusent « les stigmates et les jugements qui les invalident, et combattent avec plus ou moins de violence le monde scolaire. En choisissant le conflit, ils se constituent contre l'école, contre les enseignants perçus comme des ennemis, contre ceux qui leur font perdre la face. Une grande partie des violences anti-scolaires s'explique de cette manière » (Dubet, 2008). 


Yacoub et al. (2007) ont montré sur une population de 15000 élèves que les écoliers actuels sont plus ouverts aux autres mais moins disposés à obéir aux lois et aux règles qu'il y a dix ans. Quant aux collégiens, ils font preuve d'un moindre respect des normes scolaires que ceux de la décennie précédente. L'école a dès lors une responsabilité plus importante encore dans sa capacité à éduquer tous les enfants, quel que soit leur milieu d'origine. Les contenus des enseignements doivent, pour ce faire, être revus. Guillaume et Verdon (2006) ont montré que les lycéens perçoivent mal le lien direct qui peut exister entre leur comportement civique et les contenus et méthodes enseignés dans le cadre des cours d'Enseignement Civique, Juridique et Social (ECJS). Et, ce qui est plus alarmant encore, les enseignants d'ECJS perçoivent plus mal encore ce lien que leurs élèves. Ils invoquent leur manque de maîtrise des techniques du débat argumenté et leur manque de formation juridique. 
Nous même (Masclet et Leconte, 2005) avons montré que certains manquements au règlement étaient liés, chez certains enfants, à leur incompréhension des textes de loi et de règlement. Nous avons de plus montré qu'un choix très différent de solutions proposées par les adolescents, les enseignants et des experts du milieu judiciaire placés face à des situations nécessitant de prendre des décisions relevant soit de la loi stricte soit de valeurs morales personnelles, met en évidence l'impossibilité pour ces trois populations de se comprendre si des explications sur l'attitude choisie ne sont pas clairement données. Nous concluions qu'il est plus que nécessaire que toute règle de vie soit explicitée en classe si on veut éviter qu'apparaissent des comportements agressifs liés à une incompréhension de la situation. Eduquer ainsi évitera d'avoir à sanctionner ensuite.

Enfin, on constate que ces difficultés de faire s'identifier tous les enfants à la culture scolaire ont d'évidentes répercussions sur le « décrochage scolaire ». Le parcours de ces jeunes est marqué par des difficultés d'apprentissage cumulées depuis le primaire qui induisent peu à peu des pratiques de renoncement et leur valent d'être assignés à une place de « mauvais élève ». La répartition des verdicts scolaires négatifs fonctionne comme un processus de disqualification symbolique de toute la personne (et pas seulement de l'élève). Le travail à la maison importe les difficultés scolaires dans l'espace familial et y réactive le sentiment de dévalorisation de soi. Millet (2007) constate que dans certains cas, cet évitement confine à la dépression. Le conseil de discipline, qui semble souvent marqué par une indifférence apparente, suscite des expériences particulièrement douloureuses. Les parents des enfants punis, dépourvus des légitimités qui permettraient à leurs arguments d'être entendus, se sentent discrédités par le conseil de discipline sous les yeux de leurs enfants et voient rejaillir sur eux la honte de la sanction (Millet, 2007).

L'école doit aussi se pencher sur les formes d'évaluation qu'elle utilise, car alors qu'on cherche à éduquer des hommes, on évalue des résultats. L'évaluation telle qu'elle est pratiquée témoigne de la plus ou moins grande réussite de l'entreprise de conformation sociale. Caillet (2006) montre que ce sont les situations de jugements scolaires qui engendrent les effets les plus dommageables sur de nombreux élèves, qui les ressentent comme injustes. Les élèves estiment que les notes ne rendent compte ni de leur mérite ni des efforts qu'ils ont fournis. Le potentiel de l'élève est toujours considéré à l'arrière plan. Emerge alors un sentiment de mépris, de relégation et d'humiliation, né de la confusion entre le jugement sur le travail et le jugement sur la personne. 


Caillet conclut à la nécessité de mise en oeuvre collective d'une justice scolaire, dans les situations les plus ordinaires, justice qui doit combiner égalité, mérite et respect, et aider les vaincus à garder leur dignité. Selon elle, il faut moins penser en termes d'autorité et de discipline qu'en termes de justice et d'équité scolaire. 
Par ailleurs, un travail de mise en commun des règles de fonctionnement au sein d'une classe doit être fait par l'équipe pédagogique de cette classe si les enseignants souhaitent avoir des élèves disponibles aux apprentissages, ce qui à nouveau, évite l'apparition de comportements violents. Nous avons été amenés à suivre une classe de collège lillois (Lambert, 1988) suite à l'interrogation du principal concernant la prise en charge des enfants difficiles. Faut-il plutôt les regrouper dans une même classe en leur attribuant une équipe pédagogique motivée ou faut-il plutôt les répartir, à raison de deux élèves ainsi catégorisés ensemble, sur plusieurs classes ? Avant de décider, il nous avait été demandé de mener à bien un suivi évaluatif de la classe existante. Nous avons alors mis en évidence le fait que ce qui provoquait le plus de comportements asociaux était l'incapacité qu'avait l'équipe d'enseignants de s'entendre sur les règles de vie à imposer : l'un refusait absolument que tel élève entre en classe avec sa casquette alors que le suivant n'y voyait aucun inconvénient si cet élève participait correctement au cours. Certains élèves absents provoquaient l'ire de certains enseignants et le contentement de certains autres (« c'est tellement plus calme quand il n'est pas là ! »). C'est finalement bien un travail sur les attitudes pédagogiques des enseignants que nous avons été amenés à faire plutôt qu'un travail, comme c'était entendu, sur les attitudes des élèves. Les résultats ont d'ailleurs été concluants. 
C'est en faisant évoluer ainsi l'éducation que celle-ci parviendra à jouer le rôle de prévention sur les comportements à l'origine des violences qui  induisent la nécessité des sanctions. 


Dans un ouvrage récent (2008), André Sirota écrit : « Attribuer des violences aux seuls facteurs individuels -- qu'il ne faut certes pas ignorer -- sans chercher à saisir les différents facteurs singuliers du contexte où l'on agit, c'est se laisser guider par un déni de réalité et ignorer les apports des recherches scientifiques en sciences humaines et la nécessité d'un travail culturel et de subjectivation pour intégrer ces connaissances. C'est aussi laisser impensées les dimensions institutionnelles et collectives et sa propre participation à celles-ci. Les prendre en compte exige de chaque protagoniste  du système scolaire, et d'abord des adultes, qu'ils acceptent de se confronter à la multiplicité, à la complexité, et de consacrer une part de leur temps de travail à les penser. Cette obligation concerne tous  les niveaux de l'institution des enfants, du moins si l'on veut réellement enseigner et faire grandir les nouvelles générations». Alors qu'au Canada les violences à l'école font l'objet de programmes d'éducation permettant de les éliminer puis de les prévenir, en France elles font encore prioritairement l'objet de sanctions. Est-ce la bonne attitude, alors qu'on ne cesse de les voir augmenter quantitativement comme qualitativement ?

Roger Fontaine (2009) étudie depuis quelques années les effets du bullying, forme de violence insidieuse dont les conséquences psychologiques constituent, selon l'OMS, un véritable problème de santé publique. Il s'agit d'un mode d'interaction sociale, une façon de concevoir la vie ensemble en considérant que, dans la vie sociale, il doit y avoir des dominants et des dominés. Ses manifestations sont très variées, de la simple moquerie à la maltraitance physique. Les établissements scolaires sont considérés comme des lieux à risque car les élèves y tissent des réseaux relationnels stables faits d'amitié, d'inimitié et parfois de haine. Fontaine constate que chacun possède un statut social déterminant sa position dans les réseaux, ce qui est, selon lui, propice à la "victimisation" car certains jeunes peuvent être piégés dans des relations de domination sans pouvoir s'en extraire. L'auteur relève que les victimes présentent des niveaux très significativement élevés de désintégration sociale, de mauvaise estime de soi, de tendances dépressives et d'anxiété, avec des phobies scolaires souvent associées, des troubles cognitifs et du sommeil. Les mêmes symptômes sont observés chez les filles et les garçons. Ce syndrome de victimisation peut même conduire à des tendances suicidaires. La majorité des spécialistes soutiennent que les programmes anti-bullying doivent s'inscrire dans un dispositif global et durable, visant à promouvoir la pro-socialité comme norme relationnelle. Des actions ponctuelles dans le temps ne donnent pas de résultat efficace. A nouveau on ne peut que souligner que des sanctions n'auront évidemment aucune efficacité sur les changements comportementaux nécessaires à mettre en place. Fontaine (2008) insiste même sur le fait qu'au niveau Européen, il y a une profonde réflexion sur les outils de prévention à mettre en place, car les études montrent qu'il n'y a pas de fatalité dans ce domaine. La France est particulièrement en retard dans la prise en charge de ce problème. Fontaine montre que, pour traiter ce problème, l'école doit être socialisante, sachant que pour ce faire, il faut qu'il y ait des outils pédagogiques socialisants à l'école. Or, il a comparé 500 jeunes enseignants français et 500 jeunes enseignants canadiens. Une seule question était posée : quel est le pourcentage de votre scolarité que vous avez passé en temps sociaux (Temps social, définition : activité pendant laquelle la performance du groupe dans lequel vous étiez intégré était plus  importante que la performance individuelle.)? Réponse canadienne, 57%, réponse française, 2,2% ! C'est bien dans la manière de pratiquer l'éducation que des changements sont à faire. D'ailleurs Sirota (2008) constate qu'un des meilleurs moyens de gérer le bullying consiste à ce que les enseignants instaurent des lieux collectifs pour analyser ce qu'on vit dans une classe, en groupe, non pas pour faire un tribunal, pour juger, punir ou sanctionner. Il affirme qu'il faut que les enseignants apprennent à gérer la parole des uns et des autres au sein d'un groupe. Pour cet auteur, si les professeurs assimilent le groupe à un tribunal (ce qu'avait fait une enseignante assistant à la conférence), s'ils ont peur des groupes, ils ne peuvent pas utiliser le groupe-classe comme espace de formation, d'éducation, de socialisation et de citoyenneté. La formation initiale des enseignants est ici fondamentale, elle ne doit évidemment pas se réduire à une formation en didactique des disciplines. Il est urgent d'améliorer ce système de formation car la dernière enquête de l'OCDE montre qu'à la question "vous sentez-vous bien en classe ?", moins d'un jeune français sur deux répond "oui", c'est le plus mauvais score des 41 pays sondés : 45% des élèves se sentent à leur place en classe contre 81% en moyenne dans les pays de l'OCDE. 


Pain (2002) considère que la violence, pour endémique qu'elle soit, n'est pas une fatalité. Selon lui, il n'y a pas plus de violence qu'auparavant mais elle est médiatisée. "L'école nous semble devoir tenir sa place dans une politique de prévention sociale et communautaire de la violence". Pain affirme que l'école est sans conteste éducativement et juridiquement dans le champ de la loi. Il cite ainsi Lode Walgrave (1992), psychologue et criminologue belge, qui dit que les résultats scolaires, tout comme un faible engagement dans l'école, sont des risques pour la délinquance. Selon cet auteur, l'école a "une influence sur l'origine de la délinquance persistante", un "effet causal indéniable". C'est, selon lui, "surtout l'atmosphère socioculturelle de l'école composée par une totalité de valeurs, attitudes et comportements communs qui discrimine au point que l'abandon prématuré de l'école par des élèves non performants qui commettent beaucoup de délits, entraîne immédiatement une diminution considérable de leur délinquance." Il affirme que c'est un redressement des valeurs et des comportements qui fera la différence et restaurera la loi dans une discipline  pratiquement communautaire et associative. 
Pain donne quelques conseils qui, selon lui, permettraient que l'école traite la violence sans passer par l'exclusion sociale systématique. 
« La violence à l'école ne peut être jugulée qu'avec un long travail de prévention qui pourrait s'appuyer sur quelques idées simples et claires :
    . faire le suivi des exclusions scolaires, les encadrer, les accompagner, les positiver, en les expliquant clairement (des terrains sensibles le pratiquent déjà) ; 
    . ré-institutionnaliser les conseils de discipline, tant dans les procédures et structures que dans leurs prérogatives. Ils devraient être de vrais conseils partenariaux de la discipline, et donc du droit et de la jurisprudence scolaire ;
    . développer un effort permanent, en direction des élèves et des parents, pour construire des chartes, des règlements intérieurs, réellement pensés et gérés par une grande majorité des partenaires scolaires, en liaison civile et civique de fait avec l'exercice de la règle et de la loi ; 
    . cadrer et accompagner le "noyau dur", dont nous rappelons qu'il se résume la plupart du temps à quelques élèves par établissement, en se donnant les moyens d'un tutorat de responsabilisation sur plusieurs années (tutorat partenarial) ;
    . inscrire la violence au coeur des préoccupations de l'école, dès la maternelle, et en organiser la prévention communautaire dans la vie scolaire quotidienne. En faire un axe des projets d'école, d'établissements, de zones. En faire une réflexion pédagogique. 
Ces idées sont celles que notre expérience et nos interventions, ainsi que les échanges et les rencontres que nous avons régulièrement avec d'autres intervenants, nous dictent. Car en matière de violences, des expériences des savoirs précieux sont ici ou là dispersés. Nous avons d'ailleurs, à quelques-uns, décidé de les réunir. Guérir certes. Mais avant tout, prévenir » (p. 42).

L'école n'est évidemment pas la seule concernée par l'éducation des enfants. Les parents sont en première ligne aussi. Or de plus en plus, on applique aux parents des sanctions liées aux comportements scolaires de leurs enfants non acceptables, avec l'idée curieuse que ces sanctions vont améliorer ces mêmes comportements. Ainsi en est-il des suppressions d'allocations familiales en cas d'absentéisme scolaire de leur enfant. Ainsi le décret 2011-89 du 21 janvier 2011 qui permet d’appliquer la loi Ciotti visant à lutter contre l’absentéisme scolaire en suspendant les allocations familiales est paru le 7 janvier 2011 au Journal officiel : « En cas d’absentéisme scolaire, au moins quatre demi-journées sur un mois, le directeur de l’organisme débiteur de prestations familiales est tenu de suspendre, sur demande de l’inspecteur d’académie, le versement de la part des allocations familiales dues au titre de l’enfant », stipule t-il. Dans un communiqué commun, le Ministre de l’Éducation Nationale et la Ministre des Solidarités Roselyne Bachelot soulignent que la publication du décret « montre l’engagement continu du gouvernement pour favoriser la responsabilité des parents d’élèves et leur implication dans la scolarité de leur enfant ». Cette compétence appartenait depuis 2006 au président de Conseil Général, lequel ne s'en était pratiquement pas saisi dans les faits. A ce propos, Bedon et de Chalup (2007), après un rappel des dispositifs en vigueur depuis 1959 reliant assiduité scolaire et sanction à travers la suspension ou la suppression des prestations familiales, abordent le nouveau contrat de responsabilité parentale (mars 2006). Ce dernier est aujourd’hui lui aussi susceptible de générer des sanctions de ce type. Un choix politique des pouvoirs publics, dont, disent les auteurs,  il n’est pas prouvé qu’il soit parfaitement efficace. 
On a alors envie de retrouver Alain (2002) qui disait : « comment voulez-vous que la sagesse se soutienne quand elle se bat tous les jours avec des soucis qui renaissent tous les jours comme la tête de l'hydre ? ».


Les auteurs rappellent que dans un décret du 23 juin 2004 abrogeant les textes précédents sur l'absentéisme scolaire, deux types de sanctions sont instituées: la suspension et la suppression des prestations familiales. Le déclenchement du dispositif n’intervient que si la CAF est saisie par l’inspection académique.
Le premier acteur est le chef d’établissement, qui signale un manquement à l’obligation scolaire à l’inspecteur d’académie. Celui-ci avertit ensuite les parents et demande éventuellement à la CAF de suspendre ou de supprimer le versement des prestations familiales. Or L’article 3 de la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance abrogeait l’article L. 552-3 du Code de la Sécurité sociale et, avec lui, le dispositif de suspension et de suppression des prestations en cas d’inassiduité scolaire.
Cette loi s’appuie sur une prise en compte du phénomène d’absentéisme scolaire comme relevant de situations complexes et variées (difficulté scolaire, situation particulière de souffrance scolaire liée à l’établissement ou à la classe, situation personnelle ou familiale difficile…) et sur le fait que le basculement de l’absentéisme scolaire dans la délinquance n’est en rien systématique et ne concerne qu’une fraction minime des élèves absents.
Ce qui nous est ici apparu très intéressant est que le 1er juillet 2003, au regard de ces éléments, le conseil d’administration de la CNAF s’est prononcé favorablement pour les dispositions relatives à la lutte contre l’absentéisme scolaire contenues dans la loi relative à l’accueil et à la protection de l’enfance du 2 janvier 2004. Ainsi les CAF se sont impliquées, dans la mesure de leurs moyens, dans la lutte contre l’absentéisme scolaire. Elles ont renforcé leurs actions partenariales de proximité avec les établissements scolaires, afin de prévenir au plus tôt l’absentéisme et de soutenir la mobilisation des parents.
Elles ont participé à la création d’instances départementales de suivi de l’assiduité scolaire et contribué, selon leurs partenariats locaux, à leur animation. Le cadre partenarial de ces commissions devait permettre la coordination et l’impulsion d’actions de sensibilisation et de prévention en faveur des parents, en amont des situations avérées d’absentéisme.
Elles ont assumé la responsabilité et l’animation de modules de soutien à la responsabilité parentale. Ces modules devaient traiter, de manière générale, du cadre légal de l’obligation scolaire, des responsabilités qui incombent aux parents au titre de cette obligation et, plus globalement, de leur responsabilité éducative. Au-delà de ces rappels essentiels, l’objectif des modules était de soutenir la “remobilisation” des parents sur la question de l’autorité parentale et des relations parents enfants. On ne peut évidemment que s'interroger pour savoir pourquoi il a fallu une nouvelle loi faite de sanctions plutôt que de développer les moyens nécessaires pour aider ces actions de prévention et d'éducation. D'autant que les enquêtes menées en Angleterre et aux USA montrent que malgré les amendes et la prison (pour les parents), les chiffres de l'école buissonnière augmentent toujours. Un rapport du State Department of Education du 7 juillet 2008 fait part de ce que près d'un lycéen sur 4, entre 15 et 18 ans, décroche en Californie. En France, l'absentéisme touche d'abord les quartiers défavorisés. Pour Gérard Aschieri (secrétaire général FSU), l'absentéisme scolaire est souvent un révélateur, on ne peut pas le réduire à la délinquance ni au seul problème des parents démissionnaires. Jean-Luc Villeneuve, secrétaire général du SGEN-CFDT, relève que "souvent les élèves absentéistes sont en plein désarroi et ont besoin de discuter, de parler à une infirmière, une assistante sociale ou un conseiller d'éducation. Ce qu'on annonce là, c'est de l'affichage, marquant une certaine conception de l'éducation, contradictoire avec la nôtre. On est dans la répression mais plus dans l'éducation." Quant au SE-UNSA, il dénonce dans un communiqué "les incursions de plus en plus fréquentes du ministre de l'Intérieur dans l'organisation de l'Education Nationale", en soulignant que "son dispositif anti-absentéisme relève d'une approche essentiellement administrative et répressive de la gestion du problème". 
Il nous semble qu'il eût été important de s'interroger sur les causes de l'absentéisme. Que représente l'école pour certains enfants ? Que sont-ils en droit d'en attendre ? Nizet et Hiernaux (1984) ont montré les problèmes posés par le décalage de l'offre scolaire par rapport aux attentes des élèves dans un système qui se veut égalitaire. 
Luc Bronner (2003) présente un colloque sur l'ennui à l'école organisé par le Conseil National des Programmes le 14 janvier 2003 en signalant que 85% des jeunes enseignants se disent confrontés au manque d'intérêt de leurs élèves. Il remarque qu'auparavant on s'ennuyait poliment alors qu'aujourd'hui le chahut a laissé la place à des comportements plus agressifs. Un élève qui s'ennuie est un élève qui décroche et est potentiellement perturbateur. En 2002 le SNES montre, dans une de leurs enquêtes, que 33% de professeurs de tout âge placent le manque de motivation comme la principale difficulté dans leurs relations avec les élèves. 


L'école a fait beaucoup de tentatives pour surmonter cet ennui, pas toutes couronnées de succès. Pour Meirieu "nous sommes face à des enfants de la télécommande. Ils ne supportent pas de ne pas pouvoir agir". 
"La culture scolaire s'est historiquement construite en opposition avec la famille et la religion. Aujourd’hui, il faut ajouter un autre concurrent : la culture médiatique, qui est fondée sur la rapidité, les loisirs", analyse Gilles Lipovetsky, membre associé du CNP et professeur de philosophie. Or pour lui, « l'école est le temps de la lenteur, le contraire du zapping, ce qui rend l'ennui inévitable ». 
Meirieu relève que le débat a toujours traversé le milieu enseignant, divisé entre tenants de la "pédagogie de l'exercice" -- pour lesquels la répétition, même fastidieuse, est formatrice --, et défenseurs de la "pédagogie de l'intérêt" -- pour lesquels le travail scolaire doit d'abord partir de l'élève. Il considère que le débat traverse en réalité chaque professeur, car dit-il, "cette tension est féconde. Un bon maître est celui qui est capable de travailler sur les deux registres, celui de l'intérêt de l'élève, celui de la rigueur et de la concentration". En considérant que beaucoup d'absentéistes sont des élèves qui s'ennuient, on voit bien que les sanctions retenues pour les ramener à l'école ne changeront rien à leur comportement. 


En 2003, Paulette Maillard, écrivait : « A bout de souffle, perclus d'habitudes obsolètes, notre enseignement secondaire s'enfonce dans la grisaille. L'ennui des élèves dans cette affaire n'est qu'un symptôme parmi d'autres, comme la violence à l'école ou l'absentéisme. Des symptômes significatifs d'une inadaptation profonde du système scolaire face aux besoins de culture et de savoir de la population actuelle. Programmes d'enseignement, accueil des élèves, pratiques pédagogiques, formation des enseignants..., tout cela est à revoir et à restructurer. Une réforme d'ensemble est nécessaire, on le sait depuis des décennies. On sait aussi ce qu'il faut faire. Il ne manque que la volonté, le courage politique et les sous. Ils ont fait défaut jusqu'ici et, ça, c'est vraiment très ennuyeux ». 
En 2011, on ne peut malheureusement que constater que le courage politique et les sous manquent toujours autant, si ce n'est plus, pour permettre qu'une vraie réforme de l'école soit mise en oeuvre et réponde en particulier aux besoins des plus démunis. On préfère passer par la sanction, qui non seulement coûte moins cher mais peut même faire faire des économies. 

Insistons de plus sur le fait qu'il est impératif que l'école ne reste pas le seul lieu reconnu d'éducation, au contraire, il est nécessaire que des partenariats se construisent permettant un travail complémentaire, sur la base d'objectifs communs, de toutes les structures ayant en charge à un moment donné de leur développement, les enfants et les jeunes. Des expériences (par exemple d'aménagements des temps scolaires) ayant mis en oeuvre de tels principes démontrent que la prévention des comportements délinquants peut ne pas être un vain mot. Depuis de nombreuses années, nous avons démontré que des expériences ont fait leurs preuves et devraient être prises en modèles pour être généralisées, car les partenariats qu'elles ont permis de construire ont comme effets des modifications profondes du climat d'école, un retour des élèves les plus en difficulté à l'école et l'entrée dans l'établissement scolaire de leurs parents (Leconte, à paraître). Dans un groupe scolaire expérimental que l'auteur a pu suivre dans le temps, elle a pu montrer qu'on y fait depuis 14 ans d'abord et avant tout de l'éducation et que les sanctions ne sont vraiment plus qu'un tout dernier recours. Luc Chatel a lancé une consultation sur les rythmes scolaires, il serait bon qu'il prenne connaissance des travaux et des rapports de recherches qui ont déjà porté sur cette problématique. Il est surtout à espérer que les moyens indispensables pour que de tels projets soient mis en oeuvre sont bien prévus.  
Dans une réflexion sur la lutte contre le décrochage, sur l'absentéisme scolaire mais aussi sur la prévention de la violence, Longhi (2008) fait les propositions suivantes : « Améliorer l'emploi du temps. Le planning des élèves est le reliquat d'une confrontation entre les contraintes matérielles (locaux, équipements) et les desiderata des professeurs. Les inconvénients qui en résultent sont connus (trous dans l'emploi du temps, mépris du rythme biologique). Plus modestement, une simple planification des devoirs sur table, des interrogations écrites, des exposés et du travail à la maison supprimeraient quelques causes d'absentéisme. Personnalisation du rythme. Les divers dispositifs de raccrochage jouent en général sur trois possibilités. D'abord, un emploi du temps individualisé. Ensuite, une présence sélective selon les matières. Enfin, une télé-guidance (mail, téléphone) ». Ces idées confirment tout à fait les conclusions que Leconte a faites dans de nombreuses publications précédentes. 

Dans leur étude sur le climat dans les établissements scolaires, Debarbieux et Fotinos (2010) relatent quelques réactions des enseignants qui analysaient le bien-fondé de leur partenariat avec la police : 
"Maintenir un encadrement suffisant, la présence adulte auprès de jeunes est le meilleur garant de la sérénité. Expliquer aux autorités académiques que la "gouvernance France Télécoms" fondée sur l'injonction orale d'objectifs inatteignables déclenche des effets pervers non productifs". Plus de 2200 postes d'enseignants spécialisés, assurant habituellement la prévention et la remédiation des difficultés scolaires, aidant à la fois les enfants et leurs familles, ont été supprimés en deux ans. En 2011, ce sont 9000 postes d'enseignants qui vont disparaître pour 8300 élèves en plus alors que les recteurs et inspecteurs d'académie touchent des "primes au mérite", calculées sur la capacité de ces personnels à faire faire des économies à l'état. Primes qui ont fait dire à Luc Chatel, ministre de l'Education Nationale: « Le gouvernement a décidé de développer une rémunération variable liée aux performances de nos cadres, comme cela existe dans l’immense majorité des entreprises de notre pays ». L'école est-elle une entreprise qu'il faut rendre rentable, tout comme L'Oréal ? Est-ce ainsi qu'on compte permettre aux élèves en mal de vivre à l'école d'y trouver à nouveau le plaisir d'apprendre, seul moyen de ne pas faire se développer les situations difficiles provoquant les sanctions ici dénoncées ? 

« Plus de 75% des incidents sont la conséquence d'une maladresse de l'adulte, ou d'une réaction émotionnelle disproportionnée qui déclenche la violence de l'adolescent qui se sent agressé ou humilié. Une fermeté bienveillante, un peu d'écoute et d'empathie seront bien plus efficaces qu'une présence policière dans l'établissement ». 

« Simplifier les prises en charge : plus un élève pose problème, plus on multiplie les intervenants et plus sa gestion devient complexe. On perd alors toute efficacité et toute lisibilité pour l'enfant. [...]. Arriver à travailler ensemble : éducation, services sociaux et éducatifs, justice, services médicaux et psychologiques ». Répondre à cette demande, justifiée, nécessite d'une part que des temps de concertation puissent vraiment être établis  pour que des rencontres puissent se faire mais aussi que la formation des différents partenaires soit à même de leur permettre des échanges constructifs. La formation nouvelle des enseignants ne leur permet pas de participer efficacement à de tels échanges interprofessionnels. (Leconte, 2010).

« Instaurer une formation réelle des parents défaillants. Prendre en charge d'une façon véritablement individualisée des élèves violents mais cela demanderait des personnels qualifiés et en nombre suffisant ». Nous insistons ici sur le fait que l'actuelle formation initiale des futurs enseignants ne permettra pas de répondre à ce besoin de personnes qualifiées, qui plus est en nombre suffisant. 

Lorsque la loi Perben, autorisant l'enfermement des mineurs, avait été annoncée, des voix se sont élevées : 
    Fethi Benslama, psychanalyste, professeur à Paris VII, spécialiste des banlieues
"Plus on parlera aux jeunes des quartiers difficiles de sécurité, plus la violence augmentera. Tout  cela parce qu’on privilégie désormais le tout-répressif sur l’éducatif. Ce sont les enfants de migrants qui vont payer le prix fort. Dans ces textes, il n’y a pas un seul mot sur l’intégration. Alors les tensions vont devenir plus fortes un peu partout, puisqu’on ne s’attaque pas à l’origine du mal."
    Patrick Veron, juge des enfants au tribunal de Marseille
" La prison peut-elle endiguer la délinquance ? Je ne le crois pas.... Les causes de la délinquance, ce sont des ruptures familiales, d’énormes difficultés d’intégration, des situations économiques dramatiques. Des mesures policières et judiciaires ne règlent pas les problèmes sociaux."
    Anne Wyrekens, chercheuse au CNRS
"La réintroduction du droit dans la justice des mineurs est une façon d’y réintroduire le social : la victime, la collectivité. Mais pour que cette justice des mineurs ait vraiment un sens, il faut que sa dimension socialisatrice renvoie à une société équitable. Il faut que le mineur soit convaincu qu’il n’a pas de raison d’opter pour la délinquance et les bénéfices illégaux plutôt que pour une vie normale. Ce n’est que si on lui démontre qu’il vit dans une société juste que, au nom de cette justice-là, on pourra utilement le sanctionner."


Nous souhaitons, avant de conclure, présenter certaines expériences qui ont déjà fait leurs preuves sur la possibilité d'inventer des dispositifs permettant d'assurer une continuité dans l'éducation des jeunes pré-délinquants,  pourquoi ne pas se donner les moyens nécessaires pour les généraliser ? 
    A Meaux (77), la “maison de la seconde chance” permet à des adolescents de 11 à 16 ans, en rupture avec l'école d'être remis à niveau en français et en mathématiques et de partager, dans des petits groupes, nombre d'activités à réaliser “ensemble”. Ce dispositif baptisé « dispositif de poursuite d'éducation », reposant sur un partenariat entre l'Education Nationale, la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), la police municipale,  les services sociaux de la Ville et le parquet de Meaux implique une équipe composée d'enseignants, de psychologues et d'éducateurs. Objectifs: éviter que les jeunes en rupture traînent dans les rues et faire en sorte qu'ils ne basculent pas dans la délinquance. La citoyenneté et le respect font partie de ce dispositif. Mis en place en 2007, cette initiative aurait fait chuter la délinquance de 30%.
    A Pierrefitte (93), l'opération “Fil continu” a permis à 154 élèves exclus en 2009 de leurs collèges, d'apprendre à communiquer autrement que par la violence. Le principe fondateur du projet « Fil continu » a été la volonté de plusieurs acteurs de la ville de Pierrefitte de se réunir pour lutter contre le décrochage scolaire, en apportant plus particulièrement une réponse au problème qui concernait les collégiens exclus.
A travers des jeux de rôle, des comédiens leur font prendre conscience de la gravité de leurs actes (incivilités, injures, …). Grâce à des ateliers de médiation et de groupes de parole avec des psychologues, ils travaillent sur leur comportement et les alternatives à l'agressivité. “La prison ne sert à rien, constate Hibat Tabib, responsable de l'association qui gère ce dispositif pilote, elle radicalise la violence.”. Mais tous constatent que soutien scolaire, civisme, respect des valeurs, rien ne peut aboutir sans l'implication et la participation active des familles. D'où l'importance évidente de développer, dans toute structure d'accueil des jeunes en difficultés, une co-éducation efficace. 

Mais de tels dispositifs nécessitent de disposer des moyens conséquents, tant financiers qu'en termes de personnels motivés, enseignants entre autres. Or, sur les 60 millions d'euros alloués en 2009 au Fonds interministériel de prévention de la délinquance, la moitié a servi à financer des systèmes de vidéo-protection, dont on sait qu'ils sont peut-être dissuasifs mais certainement pas constructifs. 

Pour conclure, nous donnons la parole à Jacques Pain, qui résume fort bien nos positions épistémiques : (p. 291)
Nous terminerons sur une idée simple : les institutions éducatives, les institutions de soins, les institutions de recherche, qui se centrent sur l'espèce humaine, plus encore que d'autres, ont à se pluri-disciplinariser, à penser des mécanismes de feed-back, des mécanismes de contrôle collectif, qui leur permettent, au plus fin et en permanence, de s'auto et s'inter-analyser. Ces groupes de contrôle pourraient  regrouper des enseignants, des responsables institutionnels, des personnels, des psychologues, des psychanalystes, des socio-analystes, tous choisis pour leur transversalité. Ils ne devraient jamais dépasser six à huit personnes et pourraient accompagner et superviser plusieurs établissements. 
Pour l'avoir pratiqué depuis trente ans lors de nos interventions institutionnelles, nous savons que les suivis ainsi cadrés, sur quelques années, font des institutions différentes. Le sujet et le collectif l'emportent sur la violence. La recherche-action l'emporte sur les disciplines et le savoir savant. La science redevient ce qu'elle est, la construction lente et obstinée d'une science humaine. 
C'est peut-être ça la recherche fondamentale : penser collectivement l'institution et la vie quotidienne avec toute la force conjuguée des sciences humaines (p. 292).

Références bibliographiques


AFEV, Débats de la Journée du refus de l'échec scolaire 2009, 23 septembre 2009
Alain, (2002)  Propos impertinents (1906-1911) Ed Mille et une nuits - La petite collection  n° 397  
Bedon, J.M. & A. de Chalup (2007) Allocations familiales et obligation scolaire, Informations sociales 4/2007, n° 140, p. 112-119
Bronner, L. (2003) L'ennui à l'école, l'une des causes de la violence scolaire - Le Monde, 13 janvier 2003
Cavet, A. (2009) Quelle vie scolaire pour les élèves ? Dossier d'actualité de la VST, N° 49, novembre 2009
Debarbieux, E. & G. Fotinos (2010) Violence et climat scolaire dans les établissements du second degré en France – Une enquête quantitative auprès des personnels de direction des lycées et collèges, novembre 2010, 42 p. 
Delagrange, G. (2004) Comment protéger l'enfant ? Ed. Karthala, 250 p.
Delory-Momberger, C. (2005) Histoire de vie et recherche biographique en éducation, Economica, janvier 2005
Esterle-Hedibel M. (2007), Les élèves transparents, Septentrion
Esterle-Hedibel Maryse : La bande, le risque et l’accident, L’Harmattan, 1997
Fontaine, R. (2009) Le bullying ou intimidation scolaire : prévalence, conséquences psychologiques et scolaires, prévention - Conférence "Aux sources de la