la juste colère de deux enseignants

claireleconte Par Le 22/02/2018

LA CARTE SCOLAIRE : UNE BOMBE A RETARDEMENT
« L’école sera le creuset de notre cohésion » vœux 2018 du ministre J-M. Blanquer

Si l'automne est la saison des feuilles mortes, c'est en hiver que le « marronnier » de l’Éducation nationale voit tomber la liste des fermetures de classes. Explication. Chaque année est annoncée la carte scolaire, un étrange menu qui désigne notamment les écoles où il va falloir se serrer la ceinture. Certaines ouvriront des classes, mais en contrepartie, d’autres en fermeront.
    Depuis la rentrée 2017, un dispositif est mis en place : le dédoublement des enseignants sur les classes de CP d’écoles REP+. L’année prochaine, celui-ci est étendu aux CP de REP et CE1 de REP+ (puis, en 2019 de REP). Idée intéressante. Cependant, si pour ouvrir une classe il faut également en fermer une ailleurs, il en est de même pour ce dédoublement des classes de CP et CE1 dans les zones les plus sinistrées. Pour affecter des enseignants sur ces dispositifs, il faut forcément les prélever ailleurs, même dans des écoles dont les effectifs sont stables. Dès lors, chacun comprend que le généreux principe du dédoublement ne pourra se faire qu'au détriment d'autres écoles, et donc d'autres enfants.
    
En zone rurale…
Les académies de Besançon, Caen, Clermont-Ferrand, Dijon, Limoges, Poitiers et Rennes ne bénéficient d'aucune création de postes dans le 1er degré. D'autres académies se voient, certes, dotées de postes supplémentaires, mais loin du nombre nécessaire pour assurer le dédoublement des classes annoncé. Ainsi, Nantes reçoit bien 34 postes mais pour 137 classes. Nancy 36 emplois, mais pour 142 classes. Reims 20 pour...121. En campagne, la colère monte. L’impression que l’on déshabille la campagne pour habiller la banlieue, cela dans un contexte de sentiment d’abandon total (fermetures des maternités, postes, hôpitaux, gares…). Rappelons qu'au 2nd tour, dans nombre de nos campagnes, Marine Le Pen a été portée à des scores qui devraient appeler une toute autre vigilance, avec des villages atteignant les 70 % ! Comment expliquer à cet électorat - qui ne connaît des banlieues en général, et de l'immigration en particulier, que ce qu'en montre le journal télévisé - que l'école centenaire va fermer pour donner plus de moyens à des enfants qu'ils considèrent comme « étrangers » et « pas de chez nous » ?

En zone urbaine sensible…
Le sentiment d’abandon domine lui aussi les banlieues. Les familles éloignées du système scolaire ne le comprennent pas. Ces incompréhensions créent des violences de part et d’autre. Les enfants paient le prix fort de la misère économique et sociale. Les apprentissages deviennent alors secondaires. Quant aux enseignants, ils se sentent seuls. Ils n’ont plus l’impression de faire « leur métier » et n’en n’ont plus les moyens. Il n’y a qu’à compter les enfants laissés sur le bord du chemin… L’ignorance engendre la violence sous toutes ses formes et provoque un échec autrement plus coûteux (emploi, santé, justice...) que quelques postes supplémentaires. Dans le département du Val-de-Marne, c’est 95 classes qui vont être fermées. Sur 95, 73 sont en maternelle. Dans les Hauts de Seine, on compte 101 fermetures de classe, dont 78 en maternelle. Des effectifs vont grimper à près de 30 élèves, chose impensable chez nombre de nos voisins européens auxquels on nous compare pourtant.

Nous, enseignants en quartier sensible ou à la campagne, refusons qu'on nous oppose, qu'on oppose nos familles, qu'on oppose nos élèves. D'où qu'ils soient, ces enfants sont nos élèves.
Ils méritent respect, attention, considération, ambition, loin des effets d'annonce et des tactiques politiciennes. Que notre système éducatif se donne les moyens de ses ambitions. 
Nous appelons le ministère de l’Éducation nationale à réagir d'urgence pour désamorcer la bombe à retardement qu'il a lui-même enclenchée. A quoi vont servir nos leçons de grammaire et de calculs si nos jeunes grandissent dans la haine les uns des autres ?

Marion Audrain, maîtresse d’école à Alfortville (94)
Sylvain Grandserre, maître d'école à Montérolier (76)