Quand on veut tuer son chien on dit qu'il a la rage

claireleconte Par Le 26/06/2014

Quand on veut tuer son chien, on l'accuse de la rage !

Claire Leconte, professeur émérite de psychologie de l’éducation

« D'abord ils vous ignorent, ensuite ils vous raillent, ensuite ils vous combattent et enfin, vous gagnez. » - Gandhi

Ne croyez pas que je me considère comme un canidé, mais la ressemblance des actes du ministre de l’Education nationale avec ceux d'un maître qui veut se débarrasser de son chien est troublante.

Nous avons eu avec Benoît Hamon l'occasion d'un débat d'idées sur un plateau de télévision de France 5, l’émission « Les Maternelles ». Mais une intervention de dernière minute auprès de cette chaîne a permis d’éviter que nous nous rencontrions ! Dont acte !

Et maintenant, un nouveau palier a été franchi, le ministre dénigrant publiquement mes travaux sans me nommer toutefois. Tout cela sans aucun élément de justification.

Sur le site de Toutéduc en date du 21 juin 2014, Benoît Hamon défend « la réforme des rythmes scolaires ». Et selon l'auteur de l’article, le Ministre dénonce une « chronobiologiste » dont les travaux « sont contestés » mais qui est la seule à qui les médias donnent la parole" !

Pourtant au vu de l'épisode précédemment évoqué, j'incline plutôt à penser qu'on s'ingénie à m'empêcher d'avoir la parole dans les médias.

Alors M. Hamon, allons au bout des choses : Qui conteste mes travaux ? Et quels travaux ?

Dans toutes les interventions que je fais, je cite toutes mes sources et références, (quiconque peut les retrouver). Je ne m'attribue jamais les travaux des autres.

Oui j'ai travaillé dans un laboratoire d’études du sommeil, chez l'homme, pas chez le rat, n'en déplaise à certains « collègues » chronobiologistes.

Oui j'ai travaillé au CHR de Lille avec de tout petits prématurés.

Oui je sais de quoi je parle quand je parle de rythmes biologiques.

À ce titre je ne cesse de réclamer qu'un travail soit mené avec les familles pour que soit respectée le plus souvent possible la régularité du rythme veille-sommeil des enfants, car tout le monde s'accorde sur les effets délétères sur leur développement de l'irrégularité de ce rythme.

S’agit-il de ces travaux qui seraient selon vous «  contestés » ?

Bien qu’universitaire, je sais aussi de quoi je parle quand je parle de l'école et c'est peut-être ça qui dérange.

Oui j'affirme depuis longtemps que la disponibilité des enfants pour les apprentissages (tous les apprentissages, pas que ceux que l'on continue d'appeler les « fondamentaux ») est bien supérieure le matin que l'après-midi. Je ne suis pas la première à l'avoir constaté, comme je l'ai souvent écrit. Alfred Binet (dont les travaux seraient apparemment ignorés par d'éminents professeurs de psychologie alors qu'il a eu un rôle plus que non négligeable dans l'installation de l'école obligatoire pour tous les enfants !), en 1906, exhortait déjà les enseignants de faire bénéficier leurs écoliers de la « clarté mentale » de la matinée ! Ce que je continue de conseiller aux enseignants avec lesquels je travaille mais en insistant auprès d’eux pour qu’ils aient une réflexion sur leurs pratiques d’enseignement permettant justement de préserver cette « clarté mentale ». Pourquoi croyez-vous qu'en 1996 on avait mis une organisation en place avec 6 matinées scolaires, dans un quartier très défavorisé de Lille ?

Vous semblez partager la même analyse, Monsieur le Ministre puisque vous ouvrez un site « cinqmatinées » ! Mais quid du contenu de l'après-midi?

Ce sont là « des (mes) travaux contestés » ?

J'explique aussi très souvent, en m'appuyant sur mes propres travaux publiés, mais aussi sur ceux de neuropsychologues, et également sur ceux de praticiens de l'apprentissage qui savent de quoi ils parlent, que les capacités attentionnelles des enfants sont dépendantes, pour partie de la régularité de leur rythme veille-sommeil, (voir infra), mais surtout aussi de leur motivation pour l'activité qui requiert de leur part d'être attentifs, de l'intérêt qu'ils ont pour ce qu'ils font, du sens qu'a pour eux la tâche qu'on leur demande d'accomplir. D'où le rôle fondamental des pratiques et des méthodes d'enseignement, des pratiques d'évaluations aussi qui doivent être au service des apprentissages de l’enfant. N'êtes-vous pas d'accord avec cela ?

Ce sont là « des (mes) travaux contestés » ?

J'invoque l'idée partagée par de nombreux chercheurs en éducation (Cf. Perrenoud, Meirieu, Mattéi, Rocheix entre autres), qu'on n'apprend pas à lire-écrire-compter-communiquer uniquement en mathématiques et en français. Freinet, en 1952, écrivait : « Si l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, si l’acquisition de la technique de base n’étaient possibles et rapides que dans l’atmosphère de l’école traditionnelle, nous nous inclinerions certes. (…..). Notre expérience démontre au contraire que, par le biais de l’affectivité et de la vie, nous atteignons plus facilement qu’avec toutes autres méthodes aux buts d’acquisition et d’instruction qu’on attend et qu’on exige de l’école. » [1]

Ce qui me permet, entre autres, de démontrer l'importance de faire acquérir aux élèves de l’enseignement primaire la capacité de transfert d'apprentissage, transfert étudié de longue date par les psychologues cognitivistes.

Ce qui m'amène souvent à évoquer la nécessité de développer chez l'enfant ses compétences en auto-évaluation via le développement de sa métacognition, mais aussi les différentes méthodes de travail comme l'apprentissage auto-régulé, l'apprentissage coopératif, l’apprentissage social pour un mieux-vivre ensemble. Qui se souvient des premiers travaux de Dewey autour du « learning by doing », rendant l’apprenant actif dont se sont ensuite inspirés outre Freinet, Claparède, Montessori, Decroly, Ferrière, Cousinet ?

Ce sont là « des (mes) travaux contestés » ?

J'insiste encore sur l'importance de donner un socle commun de connaissances sur les rythmes des enfants à l'ensemble des acteurs de la communauté éducative pour s'assurer que ceux-ci soient réellement respectés, en rappelant que c'est Alain Reinberg, l'un des pères de la chronobiologie française, qui disait déjà dans les années 1970 que pour bien respecter les rythmes biologiques il faut d'abord bien les connaître.

Ce sont là « des (mes) travaux contestés » ?

Je rappelle, en particulier aux élus, mais pas uniquement, qu'on ne peut bien aménager les temps qu'en aménageant aussi les espaces (salle de restauration, cours de récréation, coins détente et repos au sein des écoles....). Et bien sûr je donne des exemples de réalisations.

Ce sont là « des (mes) travaux contestés » ?

J'insiste encore énormément sur l'importance d'associer tous les acteurs de l'éducation de l'enfant (parents, qui sont avant tout les parents avant d'être acteurs éducatifs, enseignants, animateurs, atsem, élus, techniciens de la collectivité) dans la construction d'un projet éducatif ayant du sens par rapport au développement de l'enfant, pour marquer le rôle et la responsabilité de chacun dans toutes ces actions éducatives et pour ne plus laisser stagner l'éducation partagée, la co-éducation dans le virtuel.

Ce sont là « des (mes) travaux contestés » ?

Monsieur le Ministre, vous qui avez l'habitude de faire des sondages de satisfaction, accepteriez-vous d'en faire dans les 350 communes et plus que j'ai « visitées » et auprès des dizaines de milliers de personnes qui sont venues m'écouter pour savoir si mon intervention leur a apporté quelque chose d'utile ? (80000 visites sur mon site).

Je pourrais continuer ainsi longtemps mais j'aimerais savoir si pour chacune des questions précédentes vous pouvez affirmer que je suis dans l’erreur et que les travaux sur lesquels je m’appuie sont contestables et contestés. Vous avez affirmé publiquement cela sans aucune vérification ! C’était pourtant facile de le faire. Mais au-delà, pouvez-vous vraiment croire un seul instant qu'on puisse devenir, après de nombreux « concours » où le nombre de candidats pour le petit nombre de postes est très important, professeur des universités de classe exceptionnelle, officier des palmes académiques, sans jamais avoir publié ni avoir eu la reconnaissance de ses pairs ?  Le monde universitaire est un tout petit monde comme cela a été dit par un auteur de roman, le narcissisme et l'ego y sont monstrueusement surdimensionnés. Certains ne vivent que d'accusations portées sur les autres, en tant que psychologue j'affirme qu'il s'agit là d'un certain profil de personnalité pas forcément signe de bonheur et d’équilibre pour celui qui en est porteur. Personnellement je n'ai jamais trouvé le moindre intérêt à rendre publiques les connaissances acquises sur certaines attitudes peu conformes de certains collègues, y compris de ceux que d'aucuns estiment être « reconnus scientifiquement », pourtant les nombreuses responsabilités que j'ai assumées au cours de ma vie professionnelle, y compris nationales, m'ont donné l'occasion, bien malgré moi, d'accumuler de telles connaissances.

C’est toute cette expérience acquise que je m’efforce de partager avec tous ceux qui veulent, comme vous semblez également le vouloir, donner la priorité au bien-être des enfants et à leur épanouissement dans une école conçue pour la réussite de chacun d’eux. Hélas, certains conseils que vous semblez suivre vous éloignent de cet objectif.

Je suis prête à vous rencontrer pour en parler.

 

 

 

 



[1] L’éducateur N°6, année 1952-1953. La place de la sensibilité dans nos techniques. « Nous ne fabriquons pas des robots pour la criminelle machine capitaliste, mais les hommes sensibles et vivants qui, demain, reconstruiront le monde ».