Contre la conférence des rythmes de Chatel

Comment surmédiatiser un problème mal posé pour mieux masquer la destruction programmée de l'école publique républicaine.

Claire Leconte, professeur émérite de psychologie, université de Lille 3

Chercheur au laboratoire PSITEC 

Membre de la FFPP

1er juin 2010

mis à jour le mardi 29 novembre 2010

 

Depuis plusieurs mois Luc Chatel donne à croire qu'il veut améliorer l'école pour tous en prétendant s'attaquer aux Rythmes Scolaires.  Il sait bien que cette annonce fera facilement la Une des journaux et occulte ainsi les vrais problèmes. Il a d'ailleurs lancé une grande consultation qui permettra de dire que chacun a donné son avis sur ce que doit être l'organisation temporelle de l'école.

Le rythme scolaire n'existe pas : on dit d'un événement qu'il est rythmé quand il se reproduit à l'identique en fonction d'une certaine périodicité. A l'école, rien n'est rythmé, car rien ne se reproduit à l'identique et aucune périodicité n'est régulière, ni au niveau de la journée, ni de la semaine pas plus au niveau de l'année (voir le découpage dû aux zonages).

En revanche, depuis toujours, les scientifiques dont je fais partie, dénoncent l'inadéquation de l'organisation des temps scolaires pour les élèves, au regard de leurs besoins connus du point de vue de leurs rythmes biologiques. Ce ne sera donc pas la seule incitation à la « réouverture » de l'école le mercredi matin, (mal préparée, ne tenant pas compte des nécessaires partenariats à construire pour réorganiser de façon cohérente l'ensemble des temps de vie des enfants, dont font partie les temps scolaires) qui apportera une réponse appropriée à ce problème bien réel et récurrent.  De même, on suggère de libérer les après midi scolaires pour les rendre au Sport, devenu l'une des réponses à la Crise : quel sport ? Comment ? Pour quoi faire ? Avec quels moyens ? En obligeant tous les enfants à manger tous les jours à l'école, sans rentrer chez eux, très rapidement, à l'un des moments connus pour être le meilleur de la journée pour la mobilisation des processus attentionnels nécessaires aux apprentissages ?

J'ai de nombreuses fois écrit à ce propos, sans que ces arguments ne soient pris en considération par ceux qui médiatisent les propositions gouvernementales. On se rend compte aujourd'hui qu'en parfaite contradiction avec cette idée d'un ministre qui serait soucieux d'améliorer l'école pour tous, la médiatisation de ces « bonnes idées » lui permettait d'en organiser la destruction. Or ce n'est pas complètement nouveau. On a, à mon sens, trop vite oublié certaines petites phrases pourtant bien significatives de la volonté gouvernementale déjà à l'oeuvre. Peu de temps après l'implantation catastrophique de la semaine de 4 jours par Xavier Darcos en 2008, la suppression de deux heures de classe pour tous les enfants redéployées, de façon aberrante, sur ces 4 jours pour les enfants les plus en difficultés, sachant que ces deux heures sont devenues pour tous les enseignants « tout-venant » des heures d'aide personnalisée, Luc Ferry déclarait sur une radio de grande écoute que grâce aux deux heures récupérées par la suppression du samedi matin et l'obligation faite aux enseignants de les utiliser pour prendre en charge les enfants en difficultés scolaires, l'état pourra économiser 8000 postes d'enseignants spécialisés. Que ne s'est-on plus émus  qu'on ne l'a fait à l'époque d'entendre un ancien ministre de l'éducation se satisfaire de voir l'école de la république devenir « rentable » puisqu'elle permettra enfin de faire faire des économies à l'état ? De plus, Luc Ferry était alors en dessous de la vérité.

Ces enfants n'ont tiré aucun bénéfice, pour leur « réussite scolaire », de ces heures mal placées dans la journée scolaire, difficiles à organiser pour les enfants très en difficultés par des enseignants n'ayant pas été formés à assurer ces missions spécifiques : le « comique » de l'affaire, si tant est qu'on ait aujourd'hui envie de rire, est que le seul point positif qui ait été relevé, pour ces moments d'aide personnalisée, est qu'une amélioration substantielle dans les relations et échanges enseignants-élèves a été relevée par tous, enseignants comme enfants comme parents, grâce au fait que ces cours se faisaient …... en petits groupes, avec effectifs réduits.

En réponse à cela, qu'est prêt à mettre en place le ministère ? Une augmentation des effectifs de toutes les classes, une suppression de tous les postes d'enseignants ayant des missions spécifiques d'adaptation de l'école à toutes les catégories d'enfants.

Le 17 mai, puis le 28 mai, le Café pédagogique  a donné les premières informations sur la méthode mise en place par le ministère pour dégager les 16 000 suppressions de postes décidées pour 2011. Le 17 mai il avertissait ainsi : « Selon des indiscrétions remontées jusqu'au Café, les inspecteurs d'académie ont été chargés par les recteurs, à la demande du ministre, de dégager les gisements d'emploi possibles. Les recteurs seraient en ce moment même en train de faire remonter à Paris les diagnostics des inspecteurs d'académie. » Le 28 mai un document ministériel parvenu jusqu'au Café énumérait « pas moins d'une trentaine de « leviers » identifiés mais dont l'impact sera différent selon les académies. La plupart affectent directement les classes. C'est le cas par exemple de l'augmentation de la taille des classes, de la baisse de la scolarisation à 2 ans, de l'enseignement spécialisé – RASED ».

La mesure la plus grave concerne les Rased, particulièrement les maîtres E et G et les psychologues scolaires. Pour le ministère, «  La durée de l’enseignement scolaire dans le premier degré est désormais fixée à vingt-quatre heures hebdomadaires dispensées à tous les élèves auxquelles s’ajoutent deux heures d’aide personnalisée en très petits groupes pour les élèves rencontrant des difficultés dans leurs apprentissages. Cet effort représente l’équivalent de 16 000 postes d’enseignants entièrement dédiés à aider les élèves qui en ont le plus besoin. Dans ce nouveau contexte, la contribution des enseignants spécialisés des RASED, qui s’ajoute à cet effort, doit évoluer ». Le document propose « plusieurs scénarios » : « suppression des seuls maîtres G (non-remplacement des départs en retraite et affectation en classe) et poursuite de la politique de sédentarisation des maîtres E dans les écoles où la difficulté scolaire se manifeste le plus (sans économie) ; suppression des maîtres G et des maîtres E ; pour ces derniers, il convient d’estimer quel est le besoin de maîtres E maintenus en « surnuméraires » dans les écoles, voire dans des structures ad hoc (milieu rural par exemple) ; un troisième scénario intègre, en plus du scénario précédent, la mise en extinction des psychologues scolaires ». Le ministère reconnaît que la mesure est difficile : " Les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de cette mesure montrent qu’elle nécessite une affirmation et un accompagnement politiques importants. Il vous est demandé ici un exercice d’évaluation du besoin minimal en maîtres E et des conséquences en termes de libération d’emplois de l’absence de recrutement nouveau de psychologues scolaires et de maîtres G. »

A l'heure où cet article est écrit nous constatons que plusieurs inspecteurs d'académie ont décidé de ne pas faire d'appels à candidatures pour la formation des psychologues scolaires pour la rentrée 2011. Dans une lettre envoyée par un des rares inspecteurs d'académie soucieux de lancer ces appels à candidature, un âjout rappelle que les instructions ministérielles relatives à ces stages ne sont pas encore publiées à ce jour.  D'habitude ces instructions étaient publiées beaucoup plus précocément et les appels étaient lancés dès le mois d'octobre. La baisse de recrutement était déjà avérée en 2010-2011, ce qui d'ailleurs, a des conséquences importantes sur le financement de la formation octroyé aux centres agréés. La mise en extinction pourrait ne plus être simplement une hypothèse.

 

Combien de politiques ayant prouvé leur intérêt bien réel pour une éducation scolaire au service de tous doivent aujourd'hui se retourner dans leur tombe.

Dans ses Cinq Mémoires sur l'Instruction Publique (1791), Condorcet écrivait :

« L'instruction publique est un devoir de la société à l'égard des citoyens. Cette obligation consiste à ne laisser subsister aucune inégalité qui entraîne de la dépendance. L'inégalité d'instruction est une des principales sources de la tyrannie. Le devoir de la société, relativement à l'obligation d'étendre dans le fait, autant qu'il est possible, l'égalité des droits, consiste donc à procurer à chaque homme l'instruction nécessaire pour exercer les fonctions communes d'homme, de père de famille et de citoyen, pour en sentir, pour en connaître tous les devoirs.

La société doit au peuple une instruction publique : 1°. comme moyen de rendre réelle l'égalité des droits.  2°. pour diminuer l'inégalité qui naît de la différence des sentiments moraux.  3°. pour augmenter, dans la société, la masse des lumières utiles.

L'Instruction publique est encore nécessaire pour préparer les nations aux changements que le temps doit amener. »

« Plus vous voulez que les hommes exercent eux-mêmes une portion plus étendue de leurs droits, plus vous voulez, pour éloigner toute emprise du petit nombre, qu'une masse plus grande de citoyens puisse remplir un plus grand nombre de fonctions, plus vous devez chercher à étendre l'instruction. »

Et dans son mémoire sur la morale laïque, il écrivait :

« La Constitution, en reconnaissant le droit qu'a chaque individu de choisir son culte, en établissant une entière égalité entre tous les habitants de la France, ne permet point d'admettre, dans l'instruction publique, un enseignement qui, en repoussant les enfants d'une partie des citoyens, détruirait l'égalité des avantages sociaux et donnerait à des dogmes particuliers un avantage contraire à la liberté des opinions. »

Dans le dossier 1, Extrait de l'Essai sur les Assemblées provinciales (1788), il écrit :

« Il n'a encore jamais existé chez aucun peuple une éducation publique digne de ce nom, c'est-à-dire une éducation où tous les individus puissent se former dans leurs premières années, des idées justes de leurs droits et de leurs devoirs ; apprendre les principales dispositions des lois de leur pays ; acquérir enfin les connaissances élémentaires nécessaires pour la conduite de la vie commune. Une telle éducation aurait encore l'avantage d'offrir les moyens de reconnaître, parmi tous ces individus, ceux qui annoncent une grande facilité ou des talents marqués, afin de pouvoir confirmer ensuite ces talents et les diriger vers l'utilité publique ; donner à tous les hommes l'instruction qui leur est nécessaire ; faire en sorte qu'aucun talent préparé par la nature ne reste inutile et méconnu faute d'instruction : tel serait le double but d'une éducation vraiment publique, vraiment nationale ».

« Cette instruction telle que nous la présentons ici est nécessaire pour rendre réelle la jouissance des droits que la législation assurerait aux citoyens ; elle l'est à la conservation de cette égalité naturelle que les institutions sociales doivent confirmer et non détruire ».

« On peut encore objecter peut-être, la dépense de ces établissements : mais d'abord il en est peu d'aussi utiles : on peut même dire qu'elles sont nécessaires ».

 

 

 Ecoutons Henri Piéron qui, en 1948, commentait l'enterrement des propositions de la commission de réforme de l'école à laquelle il avait participé, avec Langevin et Wallon : « … je ne pense pas que l'effort dépensé a été complètement inutile, […..], car malgré les résistances politiques, financières, traditionalistes bourgeoises et routinières pédagogiques, les buts et les principaux moyens s'imposent progressivement […]. L'on ne songe plus à contester ouvertement les deux buts fondamentaux : celui de la justice sociale, à savoir le droit, pour tout enfant, d'être placé dans des conditions éducatives lui permettant d'atteindre dans la société, les situations auxquelles il peut aspirer en fonction de ses aptitudes propres, et celui de l'intérêt social qui est d'utiliser au maximum le capital intellectuel de tout l'ensemble de la population. ». Lors de sa conférence de presse de la rentrée 2008, M. Darcos affichait ostensiblement son point de vue à savoir que « l'école est un service aux familles » ! Quel mépris pour les enseignants qui y exercent du mieux qu'ils le peuvent avec de moins en moins de moyens pour le faire ! La suppression des conseillers d'orientation psychologues, des personnels spécialisés dans le primaire, le non remplacement de tous les psychologues scolaires partants, faire des rased des coquilles vides, le démantélement de l'école maternelle, la surcharge -plus grande encore- de travail prévisible pour tous les enseignants, souffrant déjà actuellement d'épuisement professionnel, prouvent s'il le fallait, qu'aujourd'hui aucun homme (ni femme) politique n'ose reprendre à son compte la volonté affichée d'Henri Piéron.

 

Que chacun entende que l'école telle qu'elle est organisée aujourd'hui ne l'est pas par souci du bien être des élèves ni comme acquis sociaux des enseignants entre autres.

 

C'est bien l'organisation de la destruction de l'école publique républicaine qui est en route. La mobilisation de tous ceux qui y sont attachés est plus que nécessaire.

 

Claire Leconte, militante de toujours de l'école pour tous.