Cet article est paru sur Le Plus Nouvel Obs,
Non, M. Hamon, la disponibilité aux apprentissages n’est pas présente que de 9h à 11h.
Il est bien difficile de pouvoir échanger rationnellement autour de ce dossier, car chacun se l'approprie selon sa perception. Pourquoi ? Parce qu’on ne parle que de « rythmes scolaires », ce qu’aucun autre pays au monde ne fait. Ce terme, non scientifique, a été inventé en 70-80, quand les connaissances scientifiques sur les rythmes biologiques ont été reconnues par l'académie des sciences créant une nouvelle discipline, la chronobiologie. Il signifiait « adapter l’emploi du temps scolaire aux rythmes biologiques des enfants et adolescents ».
C’est dire que la préoccupation pour le « mal-être » des enfants à l’école est une vieille préoccupation en France, en tout cas elle existait déjà quand l’école fonctionnait sur 4 jours et demi, elle n’est pas apparue avec la semaine de 4 jours.
Et elle perdurera longtemps encore tant qu’on persistera à penser que la réussite des élèves est dépendante uniquement d’un nombre de jours par an ou d’un nombre d’heures par jour en classe et qu’on ne se préoccupera que de l’emploi du temps scolaire.
Non M. Hamon, la disponibilité aux apprentissages des enfants n'est pas présente que de 9h à 11h. Quand on les motive, qu'on donne du sens à tout ce qu'ils font, qu'on démarre le matin en évitant qu'ils ne s'énervent, qu'on alterne les activités selon leur coût cognitif, qu'on rend les enfants davantage acteurs de leurs apprentissages en les autonomisant plus qu'on ne le fait, qu'on les informe bien sur les objectifs à atteindre, qu'on leur apprend à s'autoévaluer et à profiter des erreurs qu'ils commettent, ils sont disponibles bien plus longtemps. Combien de temps vos enfants restent-ils attentifs devant leur jeu vidéo ? À quelle heure sont-ils capables de s'y mettre le matin si on les laisse faire ?
Comment votre ministère ne comprend-il pas que les capacités attentionnelles des enfants, leur permettant de réaliser une tâche rapidement et sans erreur, indispensables à la réussite des apprentissages sont principalement fonction de leur motivation pour l’activité qu’ils réalisent mais aussi de leur bien-être physiologique ? La motivation dépend grandement des pratiques et des méthodes pédagogiques utilisées, des modalités d’évaluations, de l’organisation du groupe classe, donc des enseignants ; mais le bien-être physiologique dépend avant tout de la régularité du rythme veille-sommeil de l’enfant et de la prise d’un petit déjeuner qui vient combler un vide après 12h de diète, donc des parents.
L'année scolaire impose 864 h annuelles obligatoires pour tous, soit moins de 10% du temps de vie total de l'enfant. (24h x 365 j. = 8760 h). En ne réorganisant que « les rythmes scolaires » on ne s’intéresse qu’à ces 10% ? (Les rythmes biologiques sont génétiquement programmés, on ne peut donc pas les « réformer » !). Ces mauvais usages terminologiques empêchent d’aborder le fond du problème. 90% du temps n’apporteraient donc rien de constructif au développement et à l’éducation des enfants ?
D'où l'importance pour moi de cesser de découper la semaine en petites rondelles comme le font des calculs sur des 1/2 journées, mais bien de traiter le problème autour de journées pleines : le temps d'une journée de l'enfant n'est pas que le temps de classe. On travaille alors sur l'ensemble de ces temps, en leur donnant le plus de cohérence possible permettant une continuité éducative entre eux, on ne les émiette plus et on ne saucissonne plus l'enfant.
C'est la façon dont ont travaillé les communes que j'ai suivies pendant plusieurs mois : elles ont construit un projet éducatif en associant parents, enseignants, atsem, animateurs municipaux, animateurs des associations désireuses de participer à ce projet ; l’ensemble des temps des jours pleins sont répartis pour que celui strictement scolaire soit le plus efficace possible pour les enfants, cette répartition étant associée à une réflexion pédagogique autour de son utilisation ; on réfléchit également aux contenus de chacun des différents temps et à la meilleure façon de transmettre ceux-ci ; on donne ainsi des temps longs et non des miettes de temps, aux animateurs ayant en charge les enfants hors de la classe ce qui permet de développer des parcours éducatifs avec objectifs à atteindre et évite de précariser ces emplois.
On regroupe tous ces temps non scolaires sur deux AM, diverses associations peuvent ainsi y participer, (au lieu d’un saupoudrage d'activités occupationnelles tous les jours, sans projet vrai), ce qui incite les enfants à s’inscrire dans les parcours ainsi mis en place : Paul Bron, membre du bureau du Réseau Français des Villes Educatrices m’avait reproché ce choix d’organisation, car pour lui les enfants doivent pouvoir être repris par leur famille quand ils ne sont plus en classe. Combien de parents peuvent-ils le faire ? Ce bureau avait de ce fait refusé de soutenir la demande d’une ville membre du réseau proposant un tel projet, accepté, parce que co-construit, par tous les enseignants, parents et animateurs, pour la rentrée 2013 ! Mais sacrebleu, qui se souvient de la déclaration de Vincent Peillon, « aucun enfant ne sera hors de l’école avant 16h30 » ?[1] Quant à vous, M. Hamon, vous venez de rappeler que « les activités périscolaires sont facultatives pour les élèves et pour les maires », lors de votre audition par le Sénat le 30 avril dernier ![2]
Paul Bron a redit le 25 avril dernier (page facebook) que : « le temps péri scolaire devrait, à mon avis, rester « facultatif » », mais il déclare aussi que libérer des AM comme le revendique Claire Leconte, (oui, 2 AM, pas une seule, pour pouvoir équilibrer les journées des enfants), impose des jours de 6h. M. Bron, outre que le découpage en 9 1/2 journées n’empêche pas cela, sachez qu’il est démontré que 4h + 2h sont bien moins fatigantes que 2h45 + 2h30, car le matin est reconnu de longue date comme le meilleur moment de disponibilité aux apprentissages pour les enfants ![3] .Pour divers auteurs, chez les jeunes enfants la classe devrait commencer tôt le matin. Moins fatigantes parce que sur 4h, de vrais aménagements des contenus, via l’alternance de séquences pédagogiques de coûts cognitifs différents (activités abstraites ou motrices ou de créativité), sont possibles ; on peut travailler sur les transferts d’apprentissage entre matières différentes, par ex. de l’EPS aux Maths ou des Maths à la musique, ce qui développe la motivation des enfants, ce qui ne peut se faire sur 2h45 où, le plus souvent, on n’y fait que des maths et du français. Or j’ai vu beaucoup d’emplois du temps de ce type en 2013 et pour 2014.
Avec un tel projet on peut ne recruter que des professionnels de l'animation qualifiés (ou pérenniser leur emploi) et y intégrer les associations déjà budgétisées par la commune ; en ne libérant pas les mêmes AM sur toutes les écoles, ces parcours sont offerts à tous les enfants, à tour de rôle (idem pour les communes rurales pouvant mutualiser leurs moyens au bénéfice de tous les enfants), ce qui réduit les inégalités territoriales. Cela divise par 2 les besoins en locaux et infrastructures chaque jour. Cela permet aux enseignants d'avoir 2 AM pour gérer toutes leurs activités souvent dites invisibles, mais pourtant bien réelles.[4] 5 matinées consistantes de 4h sont nécessaires pour que ce travail de réflexions sur les contenus, les méthodes et les pratiques puisse se concrétiser. Car cela permet d’y insérer les matières souvent dites « non fondamentales », or on sait qu’on n’apprend pas à lire-écrire-compter-communiquer uniquement en maths et en français.
Ce qui permet aussi aux enfants de maternelle d'avoir plus de temps pour leurs apprentissages au moment où ils sont les plus disponibles et sans qu’on n’ait besoin de sans cesse les bousculer. Ce qui limite les temps de siestes pris sur les temps en principe dévolus aux apprentissages. Ce qui permet aux enfants porteurs de handicaps de profiter des prises en charge complémentaires nécessaires à leur bien-être sans les faire sortir de la classe.
Pour les parents, l'organisation est rassurante, les jours sont identiques, 5 mêmes matinées mais pas forcément successives, et 4 AM semblables, soit en classe, avec un allégement cognitif repérable soit en parcours éducatifs avec des adultes devenant des référents. À Lille, cette organisation mise en place en 1996 continue de mobiliser les enseignants et les parents pour qu’elle puisse perdurer.
Tout le monde doit s'associer à la construction d'un tel projet : les parents doivent entendre quel est leur rôle comme éducateur 1er de leur enfant dans le respect de ses rythmes biologiques, les communes doivent prendre conscience des formations devant être données à tous leurs professionnels et une réflexion entre enseignants et responsables des parcours doit être menée pour que ces temps ne soient pas juxtaposés mais entrent bien en synergie afin que les enfants repèrent une continuité éducative entre leurs contenus. Cela valorisera à leurs yeux les apprentissages réalisés en classe (ils sont utiles à l’extérieur), mais permet aussi aux enseignants de constater qu’ils pourront réinvestir en classe certains acquis réalisés dans ces parcours.
Enfin pour les nutritionnistes qui, selon le MEN, s’inquiètent de telles longues matinées, qu’ils sachent qu’en travaillant avec les familles sur la nécessité d'un vrai petit déjeuner, en offrant aux enfants au premier 1/3 de la matinée une pause avec fruit de saison et eau, aucun problème d'hypoglycémie en milieu de matinée. Les enfants alsaciens qui connaissent cette formule depuis plusieurs générations peuvent en attester. Et les éventuelles craintes liées à une prise tardive du repas de midi peuvent facilement être effacées en demandant aux familles à quelle heure ont lieu les repas le week end.
On a tellement pris l'habitude en France de ne parler que des "rythmes scolaires", de n'y voir qu'un aspect quantitatif, plus de jours dans l’année, moins de temps de classe chaque jour,.., que plus personne n'y réfléchit de façon qualitative pour redonner du sens à tous les temps de vie des enfants. Ce dossier ne trouvera jamais de conclusion positive si on continue ce type de réflexion plutôt que de considérer que c'est un aménagement de tous les temps via un projet éducatif dans lequel l'éducation partagée a du sens qui permettra, entre autres, de revaloriser les apprentissages faits en classe et d’améliorer substantiellement le bien-vivre l’école pour chaque enfant.
Bien sûr d’autres problèmes existent, en particulier l’inégalité territoriale de l’accueil des enfants à l’école (dans les locaux, les conditions de travail, les effectifs, les ressources complémentaires, l’accueil des plus jeunes), j’en reparlerai, mais ce problème bien traité démarrerait la refondation de l’école.
Il est urgent d’entendre que le bien-être et la réussite des enfants dépendent totalement de la qualité de vie professionnelle de tous les adultes qui l’encadrent tout au long de ses journées. Sans compter que la déstructuration des projets pédagogiques à la journée des centres de loisirs et le report d’activités extrascolaires après 18h ne répondent pas réellement aux besoins des enfants.
8 1/2 journées et la possibilité de moins de 24h/ semaine (avec modification des vacances) ouvrent la porte à de nombreuses dérives, mais empêchent les projets ambitieux de se mettre en place. Pourtant pour vous, il serait plus « gratifiant » d’avoir permis que se construisent des projets éducatifs ambitieux, dans lesquels l’éducation partagée acquiert la place qu’elle doit avoir dans le développement de l’enfant, permettant à l’école de renforcer son rôle premier de transmission des connaissances ; permettant de valoriser la prévention au détriment de la réparation des difficultés dans les apprentissages et de participer à la formation des citoyens de demain ayant appris à bien vivre ensemble.
Organiser la « semaine sur 5 jours allant du lundi au samedi, avec aucun de ces jours de plus de 6h d’enseignement », autoriserait ces projets éducatifs ayant fait leurs preuves depuis 17 ans et plus à Lille, Moulins, Munster et Épinal. Ils sont prêts dans le 74 (pas pour plus de ski), dans le 29, 63, 76, à Paris, en Ile de France entre autres.
Plutôt que de rendre obligatoire ce que Darcos proposait en dérogatoire[5], il serait utile pour la refondation de l’école, que vous reveniez aux propositions de Jospin[6], post-loi de 1989 dont tout le monde est en train d’oublier l’ambition qu’elle portait pour l’école mais aussi pour l’éducation des enfants.
J'ai demandé, lors d'une audition au sénat (26 février), pourquoi cette réforme n'était pas portée en interministériel, (je l’avais proposé en 2012) avec JS, Culture mais aussi Famille, Santé, Travail car j'estime qu'elle doit s'inscrire dans un projet de société où le monde du travail accepte de revoir les contrats inacceptables pour certains parents à qui on impose des temps de travail sans cesse émiettés, des horaires insupportables pour une vie de famille normale. J'ai précisé que c'était pour un tel changement de société que j'avais milité pour un nouveau président. Il m'a été répondu que j'étais "généreuse".
Pourtant M. Peillon affirmait en octobre 2012 (2), qu’« un projet pour l'école est, comme l'a dit le président de la République, un projet de société ».
M. Hamon, vous qui êtes très engagé dans la réduction des inégalités, faire en sorte que les enfants ayant le plus besoin de retrouver le plaisir d’apprendre puissent accéder à ce plaisir, vous ne pouvez qu’entendre cette demande que je vous fais, avec bien d’autres, n’est-ce pas ?
Je vous remercie, pour eux, d’y répondre favorablement.
[1] Battaglia, Baumard, Collas, Le Monde.fr Éducation, 11/10/2012, « les devoirs se feront désormais à l’école ».
[2] Localtis.info, Rythmes scolaires : beaucoup de questions en suspens après l’annonce des assouplissements – Éducation, le 30 avril 2014
[3] Binet, 1906, aux enseignants : « faites bénéficier à vos écoliers de la clarté mentale de la matinée ».
[4] 44h hebdomadaires en moyenne de travail pour les PE selon un rapport de la DEPP sur l’année 2009-2010 et sont sous-payés (OCDE, regards sur l’éducation 2012)
[5] Décret N°2008-463 du 15-5-2008, article 2 - V
[6] Décret no 91-383 du 22 avril 1991