un sondage pour quoi faire ?

claireleconte Par Le 31/05/2014

Une refondation à coup de sondages ? !

Qui suis-je exactement ? Je ne suis pas élue, donc ne suis pas en attente du prochain « coup » pour conserver mon poste, comme cela m’avait été dit lors des ateliers pour la concertation au cours desquels j’avais osé dire qu’il faudrait utiliser l’année 2013-2014 pour mettre en place toutes les formations indispensables pour donner un socle commun de connaissances à l’ensemble des acteurs de la communauté éducative, seul moyen de permettre la construction de projets éducatifs sur la base réelle des besoins des enfants ; ce à quoi il m’avait été dit par de nouveaux députés et des élus municipaux, « mais tu n’y penses pas Claire, en 2014 il y a les municipales » ! Ah oui, c’est vrai, nous sommes dans un pays où des élections ayant lieu tous les deux ans, il faut toujours prévoir le coup d’après, donc surtout ne pas s’engager dans un changement nécessitant du temps. Mais en même temps on reconnaît ainsi que les élus ne sont pas suffisamment adultes pour accepter de mettre en route la construction d’un projet, qui étant au seul bénéfice des enfants de la collectivité, pourrait être poursuivie quelle que soit l’équipe municipale suivante ! C’est un constat bien triste sur l’intelligence politique de notre pays !  

Je ne suis pas rédactrice en chef d’une revue subventionnée par l’état, au contraire j’ai dû accepter de participer financièrement à un appel pour une contribution exceptionnelle afin d’éviter à une revue de disparaître étant donnée la coupe de subventions de l’état, je ne suis pas présidente d’une association ou d’un observatoire ou d’une fédération subventionnés par l’état, je n’utilise pas les interventions qui me sont demandées comme un fonds de commerce, je peux même avouer que je mets le compte familial en permanence dans le rouge car j’avance tous les déplacements que je suis obligée de faire et certains d’entre eux ne m’ont pas encore été remboursés alors qu’ils datent d’un an !

En revanche, je milite depuis toujours pour une école capable de permettre à chaque enfant de réussir, pas uniquement scolairement, mais sa vie future.  Ayant élevé cinq enfants, j’ai milité pendant 30 ans sans discontinuité au sein de la FCPE, car il y a eu 30 ans entre l’entrée à l’école de mon aîné et la sortie de l’école de ma dernière. Et j’ai aujourd’hui 12 petits-enfants.

Ceci pour dire que j’ai toujours tout mis en œuvre pour préserver mon esprit critique, pour ne subir aucune influence de qui que ce soit, que je suis totalement libre des propos que je tiens, mais que je ne m’autorise pas à dire n’importe quoi, juste pour prendre la parole. Tous mes propos s’appuient sur des expériences vécues.  

Alors que j’ai travaillé au mieux avec les ministères sous Mitterrand mais aussi sous la première présidence de Chirac, visiblement mes positions ne convenaient plus à Luc Châtel mais pas plus à Vincent Peillon, malgré sa visite dans l’école expérimentale lilloise lors de la campagne présidentielle, pas plus non plus à Benoit Hamon, que lui je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer : donc son point de vue me concernant ne peut qu’être le fait de ses conseillers.

Cela me surprend d’autant plus que visiblement, sur le terrain, ces positions passent très bien et m’amènent à recevoir chaque jour des dizaines de mails pour demandes de conseils, quand ce ne sont pas des appels à l’aide.

Pourquoi ce nouveau billet ?

D’abord parce que je m’étais dit que si Benoit Hamon était intervenu pour que je ne le rencontre pas en public sur un plateau télé, c’est en partie parce qu’en fait il a purement et simplement « piqué » certaines de mes propositions, et que peut-être il ne voulait pas que je lui rappelle les principes de la propriété intellectuelle.

Il n’a pas repris dans mes propositions celle consistant à réclamer le retour à une semaine de 5 jours allant du lundi au samedi, mais en revanche, il le fait quand il déclare qu’il faut aider les communes rurales à mettre en place un projet de qualité, possible grâce au regroupement des activités sur une après-midi, plus économique et plus susceptible de leur permettre de recruter des personnes qualifiées.

Car qu’avais-je écrit dans les propositions publiées sur le site du ministère lors de la concertation pour la refondation, en septembre 2012 ? à propos des responsables de  collectivités :

« Il faut surtout penser que plus l’organisation des temps sera bien réalisée, mieux ils pourront recruter des professionnels formés. C’est évidemment plus difficile à faire quand on doit recruter des personnes (y compris bénévoles) sur des temps totalement émiettés, une heure le matin, une heure le midi, et éventuellement une heure, au mieux, en fin de journée. Car pour ces personnes il faut en général rajouter un temps de déplacement important. (…)  De même aménager les temps  périscolaires doit se faire en y consacrant des plages temporelles suffisamment larges pour autoriser une vraie professionnalisation des intervenants. ».

Et pour la classe, j’écrivais : « C’est dire qu’il est plus important de considérer que les pratiques d’enseignement et l’organisation des séquences pédagogiques vont jouer un rôle important dans le maintien attentionnel de l’enfant au cours de la journée, sachant par ailleurs que l’alternance efficace de séquences pédagogiques (entre les séquences coûteuses cognitivement et les autres) va avoir un effet très positif sur la mobilisation des enfants tout au long des apprentissages.

Ainsi serait-il intéressant de proposer un allongement des matinées, qui permet beaucoup mieux ce type d’alternances, y compris en y intégrant des activités d’EPS ou d’art plastique ou de pratiques scientifiques, plutôt que de ne consacrer les matinées qu’aux maths et au français. ». Ce que j’ai longuement précisé dans divers écrits par la suite envoyés aux élus qui me les demandaient.

Or que dit la circulaire de M. Hamon pour la rentrée ? « Tous les domaines d'enseignement nécessitent de la concentration et de l'investissement de la part des élèves ; la répartition des séances entre matinée et après-midi concerne ainsi tous les enseignements. Les matinées ne sauraient être réservées au français et aux mathématiques même si ces périodes, pour la plus grande partie du temps, sont particulièrement favorables aux apprentissages exigeants. Ainsi la matinée supplémentaire qu'apporte la réorganisation de la semaine scolaire doit-elle être pleinement exploitée. Il convient également de trouver une bonne alternance entre des activités qui mobilisent de manière variée les élèves (sur le plan cognitif, en matière d'expression, dans les domaines moteurs, sur des supports traditionnels ou numériques, etc.) et qui les mettent dans des situations aux finalités différentes : recherche, structuration de connaissances, entraînement, mémorisation. »

C’est du plagiat non ? Je vais réclamer des droits d’auteurs !

C’est vrai que me revient alors en mémoire ce que m’a dit l’ancien DGESCO lors de notre dernière rencontre en décembre, à savoir que s’il n’était pas d’accord avec les écrits que je faisais et qui pouvaient donner à penser que le ministère fait n’importe quoi, il était en revanche d’accord sur mes attentes fortes pour que des changements dans les pratiques pédagogiques aient lieu, ce qui nécessitait pour ce faire une formation y compris continue des enseignants. Il avait alors déclaré qu’il pensait utile que j’accepte de les aider à mener à bien ces réflexions pédagogiques. Cette proposition de décembre 2013 est restée lettre morte.

Mais un DASEN avait lui aussi constaté publiquement qu’il aimait toujours m’entendre parler de mes propositions pédagogiques.

Trêve de plaisanterie, on nous sort aujourd’hui un sondage du CSA, évidemment immédiatement relayé par tous les médias, qui, sans complexe aucun, osent affirmer que « 69% des français sont favorables à la réforme » ! Soit, en chercheuse habituée  à aller aux sources des informations, j’y suis allée.

Commençons par l’échantillon, 1017 personnes de 18 ans et plus, constitué d’après la méthode des quotas, (sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage (à partir de 18 ans ?), et il nous est affirmé que les français identifient un certain nombre de bénéfices liés à la réforme, notamment pour l’apprentissage des élèves.

66% des personnes interrogées estiment que l’année scolaire qui se termine s’est bien déroulée (47% estiment qu’elle s’est plutôt bien déroulée et seulement 19% qu’elle s’est très bien déroulée). Mais on ajoute que ce sont 92% parmi les parents directement concernés, à savoir ceux ayant des enfants scolarisés, qui le sont (57% plutôt bien et 35% très bien)! Oups ! Quel est le pourcentage de ces parents parmi les 1017 interrogées ? Et que sont les autres alors qui s’expriment sur une année qui ne les concerne pas !!! On apprend que 72% des 18-24 ans partagent cet avis ! En quoi sont-ils concernés par la réforme sur laquelle soit-disant on fait ce sondage ?

Par ailleurs il n’est nulle part dit combien de ces personnes interrogées ont des enfants qui sont passés à 9 demi-journées et combien sont encore à 4 jours !

On apprend ensuite que 94% des personnes interrogées estiment que donner la priorité à l’école primaire est un objectif qui doit être important pour le ministère ! (66% très important et 28% plutôt important).

Sincèrement qui oserait dire que ce ne doit pas être un objectif important ? Pour autant est-il atteint actuellement par le ministère ? Ce n’est pas ce que demande la question !

Autre enseignement, la concentration des enseignements le matin à l’école primaire est jugée bénéfique par une majorité de français et de parents d’enfants scolarisés car elle permet d’apprendre dans de meilleures conditions.

Monsieur le ministre, comme je ne cesse de le dire dans mes conférences, et comme je l’ai écrit depuis des mois et des mois sur mon blog, le psychologue Alfred Binet, en 1906, conseillait déjà aux enseignants avec lesquels il travaillait de « faire bénéficier leurs élèves de la clarté mentale de la matinée » ! C’est bien pourquoi d’ailleurs je ne parviens pas à comprendre pourquoi subitement, dans le décret Hamon, on a décidé de brider les matins à 3h30, qui permettent beaucoup moins bien de faire s’alterner les séquences pédagogiques que ne le permettent les matinées de 4h utilisées depuis des générations dans plusieurs départements de notre pays.

Et finalement on apprend donc que ces 69% des français favorables à la réforme vantés par tous les médias quels qu’ils soient, sont en fait 37% à considérer tout à fait, et 32% à considérer plutôt, que concentrer les enseignements de l’école primaire le matin permet aux élèves de bénéficier de bonnes conditions pour mieux apprendre.

Or cela ne fait, pour moi, qu’enfoncer une porte ouverte !

Par contre, ce que semblent avoir passé sous silence tous les médias qui se sont rués sur ce sondage, c’est que seuls 51% des français (22% tout à fait et 29% plutôt) consultés considèrent que cette réforme aura la capacité de lutter contre l’échec scolaire (64% des sympathisants socialistes contre 46% des sympathisants UMP),  mais pire, 50% des parents d’enfants scolarisés pensent qu’elle ne sera pas un levier pour cette lutte, contre 47% qui pensent qu’elle le sera. 

Et le sondage affirme que les français sont encore plus nuancés quant à l’impact de ces nouveaux emplois du temps sur la réussite de chaque élève : ils ne sont que 52%  (23% tout à fait et 29% plutôt) à penser que les activités périscolaires de l’après-midi créeront les conditions favorables à la réussite de chaque élève, et seuls 39% des parents d’enfants scolarisés partagent ce point de vue !

89% (61% tout à fait) des parents et 86% (66% tout à fait) de ceux d’enfants scolarisés en primaire estiment qu’elle sera compliquée à mettre en place dans certaines communes et 85% que cela générera des contraintes d’organisation pour certaines familles.

En bon politique qu’il est, Benoit Hamon a rapidement parlé d’assouplissement lors de son arrivée, a même évoqué un « décret Peillon trop strict » ! il avait alors déclaré : « Je ne m’interdis rien. Il y a deux temps dans une réforme : celui du texte, de l’abstraction » – qu’en pense son prédécesseur ? – « puis celui de la réalité ». « Ce second temps me revient. »

Monsieur Peillon, que n’avez-vous voulu m’écouter lorsque dès janvier 2013 je vous avais écrit pour faire part de mes inquiétudes quant à la faisabilité de ce que vous proposiez ?

Alors certes Monsieur Hamon a pris la balle au bond, mais il n’a malgré tout pas eu tout à fait les bons conseils, car assouplir en conservant le découpage en demi-journées plutôt que de repartir sur une semaine de 5 jours ouvre la porte à de nombreuses dérives déjà perceptibles sur le territoire. Dire que l’on passe de 9 à 8 demi-journées renvoyait au fait évident qu’on remplace une matinée supplémentaire par une après-midi en moins, cela ne m’est pas apparu comme étant le bon schéma pour inciter toutes les communes à construire des projets éducatifs de qualité.

Quoi qu’il en soit, et c’est là qu’on voit que les médias ne sont pas à une contradiction près, alors qu’ils nous ont annoncé que 69% des français sont favorables à la réforme (sur la base de l’année qui vient de s’écouler, donc avec la réforme Peillon si on suit l’idée de départ), ils sont 67% à juger que les assouplissements proposés sont plutôt une bonne chose !

Difficile de comprendre qu’on peut être à la fois satisfait tout en attendant des assouplissements !

C’est juste parce qu’à aucun moment il n’a été demandé dans ce sondage ce que pensaient les personnes interrogées de ce qu’il se faisait actuellement dans les écoles passées à 9 demi-journées.

Mais ma question finale est : à quoi jouent les médias qui relaient ainsi immédiatement des sondages sur lesquels on peut quand même s’interroger quant à leur utilité, surtout en ne s’intéressant nullement à l’analyse qui devrait en être faite.

C’est de nos enfants dont il s’agit, il me semble qu’ils méritent un peu plus de respect sur les informations à délivrer au public pour que celui-ci puisse se faire une opinion non biaisée.

Je ne vais pas être cruelle jusqu’à demander combien a coûté ce sondage pour le ministère !